Histoire d’emballage
Le frimas s’installe peu à peu et, déjà, nous sentons venir le temps des fêtes avec son cortège de cadeaux… Comme tout le monde ou presque, j’aime cette atmosphère un peu magique qui s’installe progressivement, même si notre société l’a tristement dépouillée de son sens, autrement dit de sa racine sacrée. La lumière, c’est toujours beau… Depuis une bonne vingtaine d’années, j’en vois cependant arriver le temps avec une sorte de pincement au cœur qui va croissant. Ce n’est pas tant pour la désacralisation de Noël en lui-même – les Églises y ont travaillé – que pour l’appauvrissement de l’âme que cela engendre. À l’heure où j’écris ces lignes, je sais déjà d’expérience que, dans quelques semaines, des ribambelles d’enfants vont se ruer d’un même élan sur des tas de paquets cadeaux. Sans vivre moindrement l’instant présent et avec la complicité de leurs parents, ils vont aussitôt en déchiqueter sans le moindre égard les emballages… souvent confectionnés avec de superbes papiers et autant de rubans scintillants qui, dès le lendemain matin, se retrouveront dans un grand sac à ordures. Peut-être voyez-vous dans mon petit pincement au cœur un réflexe strictement écologique face à un de ces innombrables gaspillages dont notre société occidentale est devenue spécialiste. Il y a de cela, bien sûr, mais ma réaction est amplifiée par quelque chose de beaucoup plus subtil et de non moins important à mes yeux. À chaque fois, ce que je viens d’évoquer me rappelle une scène vécue en Inde il y a plus de deux décennies. J’étais alors proche d’un Maître indien dont il m’est souvent arrivé de parler : Swami Premananda. Celui-ci était en train de déballer l’un de ces cadeaux que des visiteurs ou disciples occidentaux lui faisaient parfois… Après l’avoir vu dénouer méticuleusement le beau ruban moiré qui ornait son paquet, nous étions quelques-uns à l’observer tandis qu’il en ôtait le papier très lentement et avec le soin d’un orfèvre. Quand cela fut achevé, nous le vîmes plier tranquillement le papier en question tout en n’oubliant pas de le débarrasser des restes de ruban adhésif qui s’y trouvaient… Un geste qui a tout de suite provoqué le rire de quelques-uns de ceux qui assistaient à la scène. « Pourquoi riez-vous ? demanda Swami Premananda en levant un œil amusé. Cela vous étonne que je prenne soin de cet emballage avant de me soucier de mon cadeau ? Mais… Ne voyez-vous pas que ce papier et ce ruban font aussi partie du cadeau ? Pourquoi est-ce que je les ignorerais ? Regardez leur délicatesse… Ils ont été créés avec art et disposés avec amour autour de cette boîte. Je sais que chez vous vous avez pour habitude de déchirer vivement tout cela puis de le jeter… Pourquoi donc ? L’amour est tout aussi présent dans l’intention et la manière d’offrir que dans le cadeau lui-même. Il est tout aussi précieux. Et puis, regardez… J’ai retardé l’instant de l’ouverture de ma boîte… Ma joie est encore tout entière ! La surprise n’est pas dévoilée ! La joie… il faut savoir la faire durer en soi. Quand je déballe un cadeau, je veux en vivre chaque instant. Surtout ne pas dévorer le temps comme un glouton ! Un cadeau, cela vient toujours du cœur. C’est sacré… alors il faut l’approcher comme il le mérite. S’arrêter sur son emballage, le respecter c’est mieux le savourer. Souvent, chez nous, ici, il nous arrive même de n’ouvrir un cadeau que le lendemain. Nous le plaçons là où nous dormons et nous attendons que la nuit passe pour prolonger la magie de la surprise. Le sens de l’émerveillement, c’est cela… Une vraie richesse ! » Comment oublier une telle leçon à l’approche de la profusion des fêtes de fin d’année, nous qui sommes généralement si dépourvus de la capacité de nous émerveiller ? Sans aller jusqu’à s’abstenir de découvrir un cadeau au moment où on nous l’offre, pourquoi ne pas essayer de chercher à l’aborder d’une autre façon ? Il paraît que nous voulons modifier notre niveau de conscience… Par nos gestes et notre attitude pourquoi, dès lors, ne pas nous attarder, ne serait-ce qu’un instant, sur les marques de tendresse et d’amour qu’un emballage, même modeste, tente de nous communiquer ? Pourquoi aussi ne pas en profiter pour enseigner aux enfants la joie de la vraie découverte, celle qui se savoure ? Le respect des plus petites choses qui nous entourent – fussent-elles un papier et un ruban – est toujours un levain pour le cœur, un embellisseur d’âme. Et puis… si l’on veut aller plus loin que ces simples réflexions liées à notre abondance collective… Ne croyez-vous pas que ce pourrait être un merveilleux exercice que de chercher à ralentir en nous le temps qui court à chaque fois qu’un bonheur, même petit, ou qu’un évènement agréable se présente ? Nous sommes suffisamment la proie des ¨accélérateurs du temps¨ en tous genres pour ne pas essayer d’expanser notre présent, surtout quand celui-ci se montre doux. Il faut que naisse une intention avant que n’apparaisse une attention. La perception du sacré commence ainsi, par une simple volonté de prise de conscience. Si nous voulons réellement un monde meilleur, appliquons-nous donc d’abord à le construire par un rapport différent aux petites choses de la vie quotidienne. C’est un défi à relever individuellement, une décision à prendre. Une dernière réflexion… Paradoxalement, il est étonnant de constater quelle est la place que beaucoup d’entre nous consacrent à leur propre ¨emballage¨ en regard de celle qu’ils accordent à leur monde intérieur. Voilà de quoi réfléchir aux contradictions de notre espèce. Voilà pour nous inviter à mûter… puisque nous sommes en 2012.
Daniel Meurois Novembre 2012